Fragments d'une psychanalyse empathique - Serge Tisseron
Ajouté par zarzour255 Dans Livres Le 10-06-2017 à 11:05

Avec ce nouveau livre, Serge Tisseron aborde la cure psychanalytique elle-même, mais à partir de sa propre psychanalyse, plus exactement de sa deuxième tranche, avec Didier Anzieu, psychanalyste français connu, mort depuis une dizaine d années.
Prenant pour exemple des passages de son analyse, il montre ce qui se joue dans la cure. Et surtout l'originalité de la pratique de Didier Anzieu qui lui permet de démontrer la place de l'empathie dans ce travail à deux, à rebours de ceux qui prônent une neutralité absolue.
Comme pour tous les livres de Tisseron, l'écriture de ce titre est d'une grande fluidité, si bien qu'il intéressera le public désireux de comprendre ce que pourrait lui apporter une psychanalyse.
Il devrait aussi susciter une polémique chez les spécialistes et être absolument rejeté par les plus dogmatiques d'entre eux.
Serge Tisseron vient de publier Fragment d’une psychanalyse empathique, un livre écrit il y a une vingtaine d’années. On est heureux de découvrir aujourd’hui un ouvrage qui bénéficie du travail mené par Serge Tisseron pendant toutes ces années.
Fragment après fragment, page à page, on retrouve les objets préférés de Serge Tisseron : la honte, les images, les secrets de famille et les auteurs qui lui sont chers : Sandor Ferenczi, Gisela Pankov, Charles Viderman, Irme Hermann, et bien entendu Didier Anzieu. Fragments… permet d’entrer dans l’intimité de la construction d’une théorie ou plus exactement dans l’intimité de deux pensées au travail qui donnant naissance à une théorie à la fois vivante et originale.
Parfois, on se surprend à rêver : n’est –ce pas à cette séance que Serge Tisseron à commencé à élaborer telle question ? Des pages le laissent penser, comme lorsqu’il raconte la séance avant l’écriture d’un texte qui devait être donné à une revue de psychanalyse et qui fera ensuite l’ouverture de son livre sur la honte. On plonge ainsi dans une archéologie des théories de Serge Tisseron, et au-delà dans une archéologie de la pensée tout court. Mais le livre permet surtout de comprendre que c’est davantage le processus qui est important. La théorie est « là », n’attendant que d’être « trouvée » par le travail des deux hommes.
Le livre est organisé est polyphonique à plusieurs niveau. Il est d’abord à deux voix, puisque l’on y rencontre deux hommes au travail. Chaque chapitre commence par un souvenir de Serge Tisseron. Au « je me souviens » « Mon analyste… » « Il disait.. » succède un court texte qui en tire les conséquences. Le lecteur est donc d’abord avec Serge Tisseron et son analyste, puis avec Serge Tisseron seul. Il découvre un souvenir, et son actualisation dans un théorie ou un point de vue technique. Il est également polyphonique car il a plusieurs niveaux de lecture. Malgré les courts chapitres, Serge Tisseron réussi à la fois à être simple sans céder à la simplicité ni réduire la complexité des phénomènes qu’il décrit et de la théorie qu’il en fait
Didier Anzieu et Serge Tisseron étaient faits pour se rencontrer. Anzieu avait fait une psychanalyse avec Jacques Lacan et avait découvert au cours d’une séance que sa mère était le cas de thèse de médecine de son analyste. Des secrets de famille avaient jeté une ombre sur la vie de Serge Tisseron. Tous deux sont intéressés par les images et la création. Anzieu avait écrit un texte sublime après avoir vu les peintures de Francis Bacon et Serge Tisseron transformera son goût des bande-dessinées en instrument de travail pour résoudre des difficultés personnelles et construire une théorie des images matérielles et psychiques.
Le livre réaffirme l’importance de l’empathie dans les relations humaines en général et dans la cure psychanalytique en particulier. On comprend également que cette empathie est un des héritages du travail avec Didier Anzieu.
Dans "Fragments d'une psychanalyse empathique", S. Tisseron partage sa deuxième tranche de psychanalyse réalisée auprès de Didier Anzieu.
Les chapitres sont très courts, et retracent les temps forts communs à toute démarche psychanalytique, sur le format "Le jour où...". Il évoque ainsi la première rencontre, les oublis d'objets chez le psy, etc... Pour chaque chapitre, Tisseron raconte en premier lieu la façon dont Anzieu a réagi, puis il commente chaque partie, en la mettant en regard de, au choix (et de façon non-exclusive) : sa première psychanalyse, sa pratique de la psychanalyse, les textes, théories et pratiques courantes etc...
Il prône une psychanalyse moins neutre, plus égalitaire, avec un psy moins sur son piédestal mais plus bienveillant (en cela, il me semble qu'il se rapproche du "témoin bienveillant" décrit par Alice Miller). Il explique comment une psychanalyse est un processus dans lequel il y a deux acteurs, qui ont chacun leur rôle, pourquoi il s'agit d'un travail à deux. Il dénonce les pratiques actuelles, dans lesquelles le psy reste "en retrait", silencieux, peut-être ayant peur d'outrepasser son rôle ou de trop s'impliquer dans la relation.
Avec une écriture simple et limpide, Tisseron décrit une autre psychanalyse dans laquelle les deux acteurs s'impliquent. La lecture de l'ouvrage est aisée, même pour ceux qui connaissent peu le sujet. le propos n'en est pas simpliste pour autant, et le lecteur attentif trouvera les thèmes chers à l'auteur : la honte, les secrets de famille, etc... Pour les plus curieux, de nombreux auteurs et textes sont cités pour approfondir un thème, en fin de volume pour ne pas gêner la lecture.
Pour ma part, j'estime que ce livre ne révolutionne pas le monde de la psychanalyse (on indique, sur le 4ème de couverture, que ce livre "devrait aussi susciter une polémique chez les spécialistes"), mais on pourra y trouver des éléments intéressants sur comment se passe une psychanalyse, ses temps forts, ses issues possibles. J'ai apprécié les regards croisés que portait l'auteur sur chaque sujet, en tant que psychanalysé par Anzieu, par son premier psy plus classique, et selon sa propre pratique de psychanalyste. Enfin, c'est un bel hommage envers un psychanalyste qui a toujours inscrit la psychanalyse dans le présent et qui est aujourd'hui disparu : Didier Anzieu.
